samedi 18 août 2007

Avec le temps...

Il y a quelques mois je m’amusais à faire concourir les pires clones de Richard Corben. Depuis, je suis tombé sur d’autres de leurs pages toujours aussi peu inspirées, sauf bien sûr par Corben. J’ai même découvert d’autres imitateurs dont j’ai déjà oublié les noms. Mais je ne m’attendais pas à ce que le meilleur imitateur de Corben ait justement été découvert grâce à un concours. Il s’agit d’un certain Xavier Solà, qui obtint en 1982 le deuxième prix d’un concours ouvert aux amateurs par le magazine espagnol, Zona84. A la décharge de Solà, il était mineur au moment des faits et avouait alors dans sa lettre de présentation adressée au magazine qu’il était très inspiré par le maître. De toute façon, il n’aurait pu tromper les rédacteurs d’un journal publiant très fréquemment des bandes de Corben. Si Solà n’a rien à dire, son deuxième prix en dit long sur ces concours.
Je me suis demandé ce qu’avait pu devenir ce Xavier Solà, son cas étant peut être symbolique. Je disposais d’une photo de l’époque et de quelques informations (année et lieu de naissance). Les informations trouvées sont rares et quasi inutilisables pour moi car en catalan. C’est surtout la photo qui m’a convaincu. Visiblement il est un peu complexé par ses oreilles qu’il cachait sous sa tignasse et qu’il planque maintenant sous un casque de radio. Il semble qu’il soit depuis 18 ans animateur dans une radio régionale catalane. S’il n’aura pas eu l’audience internationale de Corben, on peut dire qu’il s’en est sorti avec dignité. On ne peut pas en dire autant du fameux Raul Martin Demingo. Une recherche sur google m’indique qu’un Raul Martin est spécialisé dans les illustrations de dinosaures mais dès la première page de résultats de google, je tombe sur une polémique dans laquelle il est accusé de pomper allégrement sur d’autres dessinateurs. C’est signé ! Qui a dit que Raul Martin n’a aucun style ? Macedo a lui pris un bon coup de vieux mais il soigne toujours son bronzage; c'est le principal. Quant à Herb Arnold, il a disparu de la circulation. Qui s'en plaindra?













jeudi 16 août 2007

Toucher le fond

La mise en abyme est un procédé stylistique qui consiste généralement à représenter une œuvre dans une œuvre de même type (wikipedia). Bien utilisée, elle permet un jeu ou une réflexion sur le média utilisé. Pour le cinéma, on pense par exemple à la Rose pourpre du Caire de Woody Allen ou au Voyeur de Michael Powell. En bd, les premiers titres qui me viennent à l’esprit sont Julius Corentin Acquefacques de Marc Antoine Mathieu ou certains textes autodépréciatifs de Chris Ware disséminés à divers endroits de ses livres (étiquettes, résumés etc). Une utilisation assez banalisée de la mise en abyme est celle du personnage ou de l’auteur s’adressant directement au lecteur. C’est un peu ce qu’a fait Filippo Scozzari avec le Dahlia bleu, adapté du film écrit par Raymond Chandler.
A la dernière page, Scozzari se représente en assassin de Chandler, lui reprochant de lui avoir fait perdre un an de sa vie sur une intrigue merdique. On le comprend un peu. L’histoire finit sur quelques pirouettes car le script n’était pas bouclé quand débuta le tournage du film. Le film et la bd ne sont pas mauvais pour autant car la qualité du Dahlia bleu tient plutôt à ses ambiances et ses dialogues. Cette conclusion de Scozzari est touchante et amusante à la fois car on sent une réelle colère et frustration. L’autodépréciation n’est pas a priori une facette de sa personnalité comme elle peut l’être pour Chris Ware. Elle a donc forcément plus d’impact. De plus, ce gag opère une violente rupture de ton par rapport au reste de cette bd légèrement ronronnante. On peut se demander ce que Scozzari est allé faire dans cette galère. Pratiquement inconnu en France, il est pourtant avec Liberatore et Mattioli un acteur important de l’underground italien des années 70-80, très axé sur la provoc'. En Italie, le Dahlia Bleu a d’ailleurs été réédité récemment, signe d'une certaine reconnaissance.
Pour conclure, au prix où on trouve aujourd’hui cet album, j’en conseille quand même la lecture. Les adeptes de Chandler et de série noire seront peut être ravis. Après tout, certains scénarios de films avec Humprey Bogart ne tiennent pas plus la route. Les autres se consoleront en se disant qu’ils détiennent une bd Oubapienne. Un gag qui demande 80 pages de préparation, ce n’est pas si courant ! Et si Scozzari n’est pas un virtuose du dessin et que la bd est très mal imprimée, son style possède un certain charme.

prix conseillé: entre 4 et 8 euros.

jeudi 9 août 2007

Kraken, une série monstrueuse

Non Jordi Bernet n’est pas que le dessinateur de Torpedo. S’il a un peu gâché son talent ces dernières années avec Claire de Nuit, il ne faut pas oublier tous ses excellents albums des années 80 dont le méconnu Kraken. Peu avide de séries en général, Kraken m’aura pris aux tripes tout au long des quatre tomes. Segura signe pour Kraken des scénarios d’une noirceur abyssale pour lesquels le choix de Bernet au dessin apparaît lumineux...
Le décor de la série est les égouts de Métropol, la ville la plus pourrie de la planète, dans lesquels vit le Kraken, monstre qui se nourrit de tout ce qui débouche dans les égouts, hommes et déchets. Le lieutenant Dante et le reste du groupe d’action souterraine sont chargés de surveiller le Kraken et d’arrêter les rebus de la société qui se livrent dans le réseau tentaculaire des égouts à toutes sortes d’exactions. Le ton de Kraken est résolument noir mais Segura ne livre pas pour autant une vision manichéenne de l’humanité. On voit dans le destin des malfrats que le choix entre le bien et le mal se joue souvent à peu de choses, une erreur judicaire, la nature qui s’acharne. Le lieutenant Dante se perd parfois lui-même dans les notions de bien et de mal et rend alors la justice avec son pistolet, en toute illégalité. La disparition du Kraken à la fin de la série arrive heureusement pour lui avant qu’il ne tourne du mauvais côté comme l’ont fait certains de ses collègues.
On sent chez cette génération espagnole des Abuli, Segura, Bernet une forte influence américaine. Dans Kraken, Segura se permet d’ailleurs un hommage à Orson Welles dans la Soif du mal. Mais cette influence n’est pas écrasante, ils ont su développer leur style, de la même manière que l’ont fait les Italiens avec le western spaghetti. Kraken est donc une série à redécouvrir de toute urgence, au risque de trouver bien fades la plupart des autres polars existant en bd. Mon seul bémol sur cette série vient du choix des Humanos et de Soleil de la publier en couleurs alors qu’elle était parue en Espagne en noir et blanc. Pour vous consoler, la baraque à Fritz vous offre une histoire en noir et blanc de deux pages inédite en français.

prix conseillés: environ 6 euros pour les 3 tomes parus aux Humanoïdes associés. Entre 10 et 15 euros pour le tome paru chez Soleil.













mardi 7 août 2007

Tête haute, mains propres

Je suis un grand admirateur d'Hergé et de Jacobs. Leurs oeuvres marquées du sceau de la modernité et de l'impertinence ont séduit des générations de collectionneurs. Une des preuves de la modernité de Tintin est que les albums n'ont jamais été retravaillés. Ce sont des pépites brutes sur lesquelles le temps n'a pas de prise. Apprenez aussi qu'au Japon, le manga est en perte de vitesse au profit de Tintin et Blake et Mortimer. Durant mon dernier voyage à Tokyo, j'ai pu mesurer l'ampleur du phénomène. Là bas tout le monde sait parler français grâce aux albums de Tintin. A peine arrivé sur le plancher des vaches, on me demandait déjà: "Missié, toi y'en a avoir nouveaux albums Tintin pour petits jaunes?". Touché par leur enthousiasme de simples sauvages, je n'osais leur avouer que l'oncle Rémi était depuis longtemps au Walhalla avec son ami Léon Degrelle. Mais Tintin et Blake et Mortimer sont encore bien vivants dans nos cœurs.
Dans un monde sans valeurs où règne la vulgarité, il est bon de se pencher sur ces œuvres d’une pureté exemplaire. A l'heure où on parle de castration mentale pour les délinquants sexuels, doit on rappeler que ces auteurs se la sont appliqué à eux-même il ya déjà un demi-siècle pour notre plus grand bonheur de lecteurs. En cela aussi, on peut dire qu’Hergé et Jacobs sont résolument modernes.