dimanche 29 juillet 2007

Les gravures démodent

Gravure noir et blanc
Comme beaucoup d’amateurs de bandes-dessinées rendus sceptiques par les rayons nouveautés des librairies, c’est justement en me plongeant dans son patrimoine que je parviens à renouveler mon intérêt pour celle-ci. L’éditeur en ligne Coconino fait ainsi un travail fantastique en mettant à la portée de tous, des œuvres peu connues qui ne circulaient plus qu’entre collectionneurs avertis. Mais même si des efforts sont réalisés pour rendre l’utilisation du site agréable, je regrette de ne pouvoir tenir les livres dans mes mains, d’en tourner moi-même les pages et de m’arrêter sur l’une d’entre elles sans risquer une conjonctivite.
C’est donc avec enthousiasme que j’ai appris l’existence de rééditions sur papier et à prix démocratiques par Dover Publications d’œuvres de Frans Masereel (1889-1972), Lynd Ward (1905-1985) et Otto Nückel (1888-1955). Ces trois artistes respectivement Belge, Américain et Allemand ont en commun d’avoir publié dans l’entre deux guerres ce qu’on a appelé des "romans sans paroles" ou "romans en images". C’est Masereel qui fut le premier à créer un de ces livres en noir et blanc en employant la technique de la gravure sur bois. Dans ces livres où la narration se fait par l’image, la page de gauche restait vierge et la page de droite ne comportait qu’une seule gravure. Contrairement à IMHO qui a aussi réédité "Destin" de Nückel, Dover a pris le parti de faire sauter les pages vierges pour que se suivent toutes les gravures. On pourrait s’interroger sur le bien-fondé du choix de Dover qui fausse un peu le débat possible sur leur affiliation à la bande dessinée en donnant d’emblée aux livres un aspect plus proche de celui d’une bd. Mais, Lynd Ward dans une édition intégrale de ses oeuvres qu'il a supervisée a procédé de la même façon et a même permis d'imprimer deux gravures par pages.
Si l'on considère ces livres comme des bd, The city (1925) de Masereel peut par exemple s’apparenter à ce qu’on qualifierait aujourd’hui de bd d’avant-garde. Le sujet et en quelque sorte le personnage est la ville elle-même. Ses habitants, ses quartiers et les évènements qui s’y déroulent ne sont que des composantes de la ville. On ne s’attarde sur le sort d’un individu que le temps d’une gravure. La vie n’est pas rose pour tout le monde et ce sentiment est renforcé par un noir et blanc franc et expressioniste. Si leur vision est aussi pessimiste et politique, Otto Nückel et Lynd Ward s’intéressent eux au destin d’un ou deux personnages. Comme Masereel, Ward emploi la technique de la gravure sur bois alors que pour Destiny (1930), Nückel grave sur du plomb. Malgré des techniques différentes, ces deux auteurs semblent vouloir se différencier de Masereel par un travail sur le gris. Dans Gods’man (1929) et Mad man’s drum (1930), Ward use d’un symbolisme volontairement appuyé pour exprimer des idées ou pour caractériser les personnages, en particulier dans "Mad Man’s drum" qui repose sur une trame plus complexe et un plus grand nombre de personnages. De son côté, Otto Nückel, sans doute le plus féroce des trois, a une approche qu’on pourrait rapprocher du naturalisme.
Attention, ces livres ne sont pas que des curiosités et conservent toute leur force. Et si l’on devait chercher une descendance actuelle à ces artistes, on pourrait la trouver dans certains livres comme Flood d’Eric Drooker et The System de Peter Kuper qui sans utiliser la technique de la gravure et bien qu'adoptant le découpage de la bd, rappellent tout de même un peu par leurs thèmes, le ton et leur narration sans textes les romans en images. Enfin, on peut surveiller à la rentrée la sortie du livre Graphic Witness qui comporte des œuvres de Frans Masereel, Lynd Ward, Giacomo Patri and Laurence Hyde. De quoi parfaire sa connaissance des premiers et découvrir deux autres graveurs.

dimanche 22 juillet 2007

Mon lecteur

Parfois les bloggers rencontrent leur lecteur, à leurs risques et périls... Ainsi le blogger s’entendra dire par son lecteur qu’il n’est pas très ceci, pas assez cela. Le lecteur lui débitera toutes sortes d’opinions définitives sur la vie, la géopolitique et la cuisson des pâtes. Ce même lecteur n’hésitera pas quand il s’agira de musique, à justifier ses préférences par la citation des relais vaguement culturels de la pensée unique. D’abord amusé par cet enthousiasme tout juvénile qui fut aussi le sien, le blogger sera bientôt un peu irrité. Lui qui en a vu d’autres, sans pour autant porter ses expériences en bandoulière, se demandera même rapidement si ce début de douleur au crâne est un effet de l’alcool ou de son interlocuteur. Il se rappellera alors que la dernière fois qu’il s’est posé cette question, son interlocuteur était une interlocutrice et qu’elle avait de beaux seins. Il regardera furtivement son lecteur et sera traversé par un léger sentiment de tristesse. Plus tard, le blogger ira dormir. Lui qui ne voit plus depuis longtemps dans l’alcool un moyen de s’affirmer pratique la modération et se réveillera frais comme une rose. Il écrira dans la journée un nouveau billet sur son blog pour se moquer gentiment de son lecteur puis retournera vaquer à ses occupations.

mercredi 18 juillet 2007

Pour un fixe de Rand Holmes

Image Rand Holmes La bd canadienne bénéficie ces dernières années d’une certaine reconnaissance, notamment grâce au succès de l’éditeur canadien alternatif Drawn & Quaterly. L’éditeur a permis l’émergence d’auteurs comme Seth et Chester Brown qui ne trouvaient pas leur place dans la production standardisée nord-américaine. On ne peut pourtant pas réduire l’underground canadien à ces auteurs ni à cette génération. Le Canada a aussi été secoué par la contre-culture des années 60-70. On pense alors à Rand Holmes (1942-2002) et à son personnage emblématique Harold Hedd, hippie toujours en quête d’une bonne défonce. On peut faire un parallèle entre l’évolution de cette série et celle de la carrière de Rand Holmes. Au début, Harold Hedd apparaît comme une série ouvertement contestataire, ancrée dans un certain contexte politique. Le maire de Vancouver est ainsi régulièrement ridiculisé. Par la suite, la fiction et le divertissement prennent le pas sur la satire et la série s’achève avec La Coke du Führer en une sorte de MAD pour adultes. Ce serait toutefois une erreur d’analyser cette évolution comme un reniement de soi-même ou une compromission au système. Holmes n’a fait que revenir à ses premiers amours, les comics de Wally Wood. Holmes a en effet excellé dans des histoires de SF rappelant celles des E.C Comics dont Wood fut une figure de proue. L’influence graphique la plus subtile de Wood sur Holmes est la manière de dessiner l’intérieur des vaisseaux spatiaux par un jeu d’ombres et de lumière sur les parois et les appareils de bord (1, 2). Si l’influence de Wally Wood sur Rand Holmes est notoire, on ne peut les confondre pour autant. Contrairement à Wood, Holmes n’avait pas d’assistant et toutes ses planches sont empreintes d’une identité graphique forte dont une des spécificités est son utilisation très personnelle du jaune et du vert. Et s’il s’est écarté de la contestation pure, Holmes s’accordera toujours dans ses histoires une grande liberté de ton. La France peut se féliciter et surtout féliciter Fershid Bharucha d’avoir édité les œuvres les plus importantes de Rand Holmes. Chères fraîches, la Coke du Führer et Planètes pas nettes sont non seulement d’excellents albums mais également un bon moyen de suivre l'évolution artistique d’un auteur à découvrir si ce n’est déjà fait.

prix conseillés: entre 6 et 9 euros pour Planètes pas nettes, 7 et 11 euros pour la Coke du Führer et entre 18 et 25 euros pour Chères fraiches.

dimanche 15 juillet 2007

Je reste dans mon lit douillet

Reiser Travail famille patrie
Rien de tel qu'un dessin de Reiser pour la fête nationale. Admirez l'alignement des usines, des habitations et des tombes. C'est beau comme un défilé du 14 juillet ou comme des étagères de collectionneurs de bd moyens. C'est ça le paradoxe, ça lit de la fantasy mais ça manque cruellement de fantaisie. Pour vous, les rêves doivent rester bien rangés, voire enfermés dans des pochettes plastiques pour ne pas qu'ils s'évadent! Vous voulez en disposer quand bon vous semble, pour vous épargner une remise en cause de vos vies que vous préférez paisibles plutôt que de les risquer à rendre les rêves possibles. Vous n'êtes même pas les singes de votre idéal, à peine une cellule. Oui messieurs les ronds-de-cuirs et vous témoins complices, je l'avoue je ne range pas mes bd et je n'ai pas peur de le dire. Un jour, on me fusillera pour cette audace! On fera alors une bd de ce drame et vous serez sincèrement émus. Mais vous rangerez néanmoins l'album à sa place sur son étagère et dans sa pochette plastique. Ce jour là, vous m'aurez enterré une deuxième fois, protozoaires!

mercredi 11 juillet 2007

Vive les soldes!

Pour parler des soldes et de bd, on peut dire que les héros de bd ne les font pas souvent. Il suffit de voir le temps qu’a mis Tintin pour troquer sa culotte de golf contre une paire de bloudjinnzes. On peut aussi tout simplement parler des bd qu’on a achetés d’occases ou en soldes. Commençons par le hors série n°2 de 1986 de l’écho des savanes (3 euros). Comme mise en bouche, on trouve de quoi se dérider avec un classique de Vuillemin, une aventure de Marc Edito, cinq dessins inédits de Squeak the Mouse du trop rare Mattioli, un "touchant" plagiaire de Liberatore et quelques planches cochonnes de Necron que notre exigence morale et bédéphilique nous interdit de lire dans une autre version que celle éditée par Cornélius dans le respect de la mise en page originale voulue par l’auteur Amen… Le gros morceau, c’est une aventure complète de plus de 40 pages de Maurice le Cow-boy de Kamagurka et Herr Seele qu'on retrouve dans l'album édité par Albin Michel en 1986. Maurice doit avec ses faibles moyens intellectuels percer le mystère du "gang des offreurs de chevaux". La mission du héros donne déjà un aperçu du ton de la bd mais rien ne vaut des extraits (voir images). En matière d’humour con, c’est avec Pierre la Police ce que j’ai lu de meilleur.
Dans un autre registre humoristique, qui peut surpasser Winshluss si ce n’est lui-même ? Pour en juger, il faut se procurer Top Shelf asks the big questions. Sortie près d’un an avant Smart Monkey, cette revue (12 euros 50) permet de découvrir une version légèrement différente et surtout beaucoup plus courte que celle éditée par Cornélius. Visuellement, cette version est peut être encore plus belle. Le reste de la revue est de bonne facture avec "TNT" de Mahler, quelques auteurs d’Atrabile à lire en suisse anglais, de multiples hommages en bd (Seth, Ware etc) à Charles Schulz d’un intérêt variable et puis d’autres histoires d’auteurs moins réputés.
Pour un peu moins du prix d’un demi, j’ai pu lire aussi dans "C’est pas tous les jours fête" de Guerse et Pichelin, les "aventures" de deux "non-winners" qui passent leur vie à en boire. C’est Rémi qui régale ! Rémi c’est un peu tout le monde et personne en particulier. C’est le RMI. Mais heureusement Guerse et Pichelin n’ont pas le RMI triste. Ils cherchent à profiter de la vie. Et il est plutôt marrant de suivre la façon lamentable dont ils s’y prennent.
Pour finir, dans le panier de la ménagère, on trouvera Meder (6 euros 50) de JC Menu, bd autobiographique. Enfin, des fois on se demande.



MISE A JOUR: 5/10/2007

lundi 2 juillet 2007

Virée en bus avec Paul Kirchner

De son propre aveu, la carrière de Paul Kichner a été chaotique. Après avoir été l'assistant de Wally Wood à ses débuts, il tenta de gérer tant bien que mal les projets personnels et ceux qui permettent de payer les factures. C’est pourquoi on trouve dans sa bibliographie des bd faisant la promotion de jouets (G.I Joe, Dino Riders, Power Rangers) et "The Bus", chef d’œuvre méconnu, prépublié de 1978 à 1985 dans Heavy Metal. Cette série de strips surréalistes sans dialogues raconte presque invariablement la même histoire, celle d’un quinquagénaire chauve et binoclard qui prend le bus. Graphiquement c’est aussi dans The Bus que Kirchner est à son apogée en évitant un style réaliste parfois un peu trop glacial. Cette série a été compilée aux Etats-Unis et en Allemagne mais malheureusement pas en France. Le seul album de Kirchner publié en France est « Contes à rebours » qui est un recueil d’histoires courtes. La plupart mettent en scène Dope Rider, un squelette cow-boy et toxicomane. La lecture est rendue un peu difficile par des scénarios trop délirants et les nombreux palindromes prononcés par Dope Rider qui sont sans doute inadaptables en français. En dehors de The Bus, Kirchner a publié quelques courtes histoires dans des magazines comme Epic Illustrated. A mi chemin entre l’œuvre personnelle et la commande se trouve « Murder by remote control », scénarisé par Janwillem van de Wetering, auteur de polars et spécialiste du zen. Le résultat est assez étonnant et divertissant sans pour autant marquer les esprits.



prix conseillé: se trouvait à une époque en téléchargement sur emule, environ 6 euros avec les frais de port dans l'édition allemande au format livre de poche sur amazon.de, en anglais difficilement trouvable en dessous de 30 euros (hors frais de port) mais déjà vu autour de 20 euros sur internet.